Post diffusé sur mon ancier blog en 2013
La ville de Bangkok est décrite, comme bon nombre de ses consœurs asiatiques, par de nombreux superlatifs pas toujours très flatteurs. Elle est souvent brocardée pour ses embouteillages monstres, la pollution importante, un développement urbain extraordinaire, anarchique, et surtout comme une ville amphibie, à l’image de la sérénissime Venise en Italie. Mais il n’en a pas toujours été ainsi et le sera peut-être plus dans quelques années. Car les Thaïlandais peuvent être caractérisés comme étant un peuple de l’eau, ayant la culture de l’eau. Cette disposition ancestrale transparait au travers de leur habitat sur pilotis que l’on retrouve dans l’ensemble du pays. Les premiers habitants de Bangkok avaient à l’esprit les particularismes topographiques et climatiques du site de la nouvelle capitale et longtemps celle-ci fut arpentée au travers de son fleuve et ses canaux. C’est pour cela qu’elle fut très vite nommée par les premiers commerçants et explorateurs venus de l’occident, la Venise de l’Asie(1).
Avec l’explosion urbaine et économique de Bangkok, ces 4 dernières décennies, il est bien difficile de retrouver les traces de ce passé “aquatique” qui ne transparait à l’œil averti qu’au travers de l’organisation des axes routiers particulièrement chaotique. On est progressivement passé de l’habitat sur pilotis à une architecture terrestre délaissant totalement le rapport qu’avaient les habitants de Bangkok avec leurs axes fluviaux. Ce déni progressif des politiques vis-à-vis des axes fluviaux de la ville ont produit d’innombrables problèmes urbains. L’extension urbaine, la déforestation, le comblement progressif des canaux de drainage conjugués au pompage des eaux de nappes phréatiques nécessaires au bon fonctionnement de la mégalopole, ont accéléré l’effondrement de la ville sur ses bases argileuses en la sensibilisant dramatiquement aux inondations devenues quasiment quotidiennes.
Aujourd’hui, avec le développement du skytrain (Métro aérien) et du skywalk (Passerelle piétonne), Bangkok renoue inconsciemment avec son histoire culturelle et topographique et avec la réalité de son site. En effet, le métro aérien est bien adapté à la réalité physique du pays puisque sa structure « sur pilotis » se referait à la dimension symbolique de la tradition thaïlandaise (en dehors de toute considération économique de la construction). La construction d’un réseau de transport en commun et de circulation piétonne au-dessus du sol est peut-être la meilleure représentation de la prise en compte cette réalité comme l’explique Wanalerttlak Weerya(2) en ces termes :
« Cette manifestation oecumenale représente le respect des relations entre un peuple de l’eau et son site submersible.»
En dehors de l’aspect symbolique qui n’est peut-être pas une construction consciente des pouvoirs publics, on a pu remarquer l’importance de la nouvelle place prise par ses infrastructures de transport dans l’économie de Bangkok et son organisation urbaine et architecturale. Ce n’est plus seulement un moyen de faciliter et de décongestionner les rues de Bangkok, c’est aussi et surtout un nouveau moyen marketing et de représentation de la modernité d’une ville au niveau régional et international. »
Bangkok peut être qualifiée comme d’autres consœurs asiatiques (notamment Singapour), comme ville ludique où flâner dans la ville à la Baudelaire ne suffit plus pour les tenants des nouvelles politiques urbaines. Il faut qu’elle rapporte en terme d’image, mais aussi et plus prosaïquement, en terme économique. La ville est depuis plusieurs années, devenue la source de nouvelles réflexions urbaines sur l’expérience de l’habitant et du visiteur. La ville est alors perçue comme un terrain de jeu. Il faut multiplier les points de vue, proposer de nouvelles activités et des moyens de transport efficaces.
Ces différentiations, nous pouvons les retrouver de manière plus ou moins nette dans chacune des grandes capitales d’Asie, de Bangkok à Hanoi en passant par Tokyo. Chacune apporte son lot de particularismes, son lot de similitudes qui transparaissent dans son architecture, sa culture et surtout par la présence des espaces publics plus ou moins affirmée. Il est évident qu’aujourd’hui, la rue fait ville, car elle est autant l’image d’une ville que celui d’une architecture au travers d’un édifice dessiné par un architecte mondialement connu. Aujourd’hui, les municipalités de ces grandes villes se soucient parfois autant de cette représentation architecturale de leur ville ayant un signifiant très fort de modernité et de dynamisme que de leurs espaces publics qui sont un tout autre signifiant beaucoup moins quantifiable, mais ô combien plus représentatifs de ce dynamisme économique, social et urbain. Cette volonté des pouvoirs locaux et nationaux d’entreprendre une transformation de l’espace urbain et architecturale quelle soit publique ou privée peut être traduit par le questionnement suivant : Qu’elle image pour caractériser une métropole ?
Mais, ce n’est pas uniquement un fantasme que de pouvoir penser que chaque métropole d’importance internationale recherche à dépasser ses propres codes de développement économique et urbain en reprenant certains de ceux qui ont fait leur preuve. D’ailleurs, La Celca ne s’y trompe pas en déclarant dans son ouvrage Contre l’architecture (3) publier en 2011:
« Les villes rêvent d’autres villes… Il arrive ainsi que des villes se perçoivent uniquement comme l’ombre projetée d’autres lieux, ou qu’elles projettent elles-mêmes leur ombre. » (P39-40)
Il y a donc un retour à l’imaginaire urbain dans lequel l’urbanité, c’est-à-dire l’adéquation d’un lieu et de ses usages, tient précisément au mélange, à la variété, à l’inattendu, au spectacle d’un espace composite (Francois Asher, 2008) (4). Les consommateurs ne veulent plus seulement s’approvisionner, ils veulent aussi faire du shopping, c’est-à-dire, trainer, rêver, voir le spectacle de la rue et avoir le sentiment qu’ils font partie de la rue, qu’ils en sont les acteurs. Dans ce contexte, les rues multifonctionnelles et multisociales retrouvent des vertus, car elles sont les lieux de frottement, sinon de confrontation avec l’autre.
Dans le processus de mondialisation, où l’information et les échanges sont devenus instantanés avec l’évolution fulgurante des techniques de communication de ces dernières années, chaque grande mégalopole cherche à attirer non plus seulement les industries, mais aussi les services et les secteurs à forte valeur ajoutée. L’organisation de la ville, son espace urbain et les services publics proposés, contribuent dorénavant de plus en plus sur son attraction régionale et internationale. Le prix, au travers du foncier, des taxes, de la fiscalité, fut longtemps la marge de manœuvre la plus couramment utilisée par ces différentes mégalopoles pour attirer de nouveaux investisseurs. Aujourd’hui, ils ne sont plus le seul recours et ne se suffisent plus comme unique levier dans la course mondialisée.
Les nouvelles orientations urbaines du développement sont de plus en plus politiques et économiques et ne traduisent plus seulement les besoins de base d’une population locale, mais aussi des besoins devenus internationaux que s’approprient très vite ces populations qui au point que bien souvent, celles-ci devancent ces politiques urbaines au travers d’actions économiques et sociales à leur propre échelle, une échelle plus ou moins locale, d’une rue, d’un quartier, d’un arrondissement (district). On retrouve alors très vite la problématique de l’altérité urbaine. Celle-ci tend à s’effacer progressivement d’une manière générale pour laisser place à une organisation de l’espace expurgée de toute identification culturelle. Seul subsiste et entre en résistance une organisation, une représentation générale de l’espace urbain et de son environnement au travers d’icônes architecturales modernes ou historiques représentatifs d’une altérité encore rêvée, mais difficilement acceptée par les autorités responsables de l’aménagement urbain. Tout cela tend à crée un nouveau paradigme urbain qui dépasserait l’échelle du local pour l’échelle quelque peu bâtarde, mais dans l’air du temps, du Glocale répondant à la nouvelle gouvernance urbaine, le produit d’un phénomène entériné au travers d’une qualification par nombres d’organisations internationales telles que la banque mondiale et l’ONU (Organisation des Nations unies).
À l’échelle urbaine, l’insertion dans la mondialisation se traduit par une requalification des centres avec l’apparition d’hypercentres verticalisés, porteurs des signes de modernité urbaine et la structuration des périphéries (villes nouvelles, grands centres commerciaux et zones industrielles). Il en résulte de nouveaux rapports centre-périphéries, portés par des modes de fabrication urbaine spécifiques liés à l’internationalisation. Cela exprime que rien dans l’évolution urbaine des métropoles internationales ces dernières années ne puisse présumer d’un effacement du collectif au profit de l’individualisme dans l’espace public. Barbara Ehrenreich nous rappelle que les villes, d’une certaine manière, sont nées pour donner aux individus des occasions de rassemblement festifs. Ainsi ne faut-il pas voir dans le shopping une forme mineure de cette joie collective ? David Panerai (1999)(5), préfère parler de l’opposition de la VF à la VO. En ces termes :
« Il ne s’agit pas d’opposer à la VF (Ville franchisée) la VO (Ville originelle), mais une ville métissée (VM), régie par des règles urbaines minimales, quoique rigoureuses, en vue de constituer un espace public continu, accessible, varié et partagé. »
Dans la continuité de cette réflexion sur l’évolution de la ville, jouant sur les aspects plus géographiques, ainsi que par les formes urbaines et leur localisation, il serait peut être intéressant de comprendre et d’appréhender d’autres façons dont peut être pensée l’organisation des espaces et leurs différentes typologies au travers de schémas types représentant les situations les plus efficientes des différents espaces urbains suivant une sectorisation bien établie pouvant peut être expliquer leur capacité ou leur incapacité a produire une ou des activités quelles soient sociales ou économiques. L’idée d’une ville en constante mutation et en constante extension comme Bangkok induit inévitablement une réflexion sur le comment organiser les flux dans la ville et donc de la localisation et de l’importance des pôles (commerciaux, culturels, historiques…) qui s’exprime encore plus vivement au travers de la formation toujours plus rapide de villes nouvelles à travers le monde. La conception et l’aménagement des rues, en devenant une question de sociétés aux multiples facettes culturelles, sociales, économiques, environnementales et politiques, donnent ainsi de nouvelles tendances à une multiplicité de solutions au travers de modelés qui dépassent désormais le cadre idéologique et les dogmes urbanistiques. Il faut pouvoir regarder la ville autrement et ne plus considérer l’agglomération à partir de son centre historique, accepter les visions fragmentaires, partielles et lire la ville en train de se faire.
Janvier 2013
SOURCES :
(1) L’architecte Thailandais Davisi BOONTHRAM exprime dans son ouvrage ‘’Bangkok, Formes du commerce et évolution urbaine, Recherches, (2005)’’ : (…) «Le paysage de Bangkok à sa fondation était principalement composé de pagodes et de palais, agrémenté de maisons flottantes de part et d’autre du fleuve. Le réseau hydraulique est le principal réseau de communication de Bangkok et l’aspect général de la ville est fortement marqué par l’eau».
(2) WANALERTLAK, WEERAYA, Le métro aérien et l’invention du nouveau paysage de Bangkok. DEA 06/00/269- 2000 – 102P
(3) La CECLA, F. (2011), Contre l’architecture, Arléa, Condé-sur-Noireau, 187p
(4) ASCHER, F. (2008), Le nouveau compromis urbain, L’aube, Paris,142p et ASCHER, F. (2010), Les nouveaux principes de l’urbanisme, L’aube, Paris, 275p
(5) PANERAI, P. (1999), Analyse Urbaine, Parenthèse, Paris, 189p